Présentation
On choisit, pense-t-on, de parler la langue que l’on parle. « En fait, on ne fait que s’imaginer la choisir. […] c’est que cette langue, en fin de compte, on la crée. […] On crée une langue pour autant qu’à tout instant on lui donne un sens, […] un petit coup de pouce, sans quoi la langue ne serait pas vivante. [1] » Ce petit coup de pouce, qui force un mot à signifier un peu autre chose que d’habitude, parce qu’il rend la langue vivante, est bel et bien réel [2].
Dans la rencontre contingente avec la jouissance, chacun fait l’épreuve qu’il n’y a pas de mot pour le dire. Il lui faudra forcer la langue commune, lui donner un petit coup de pouce pour qu’elle accueille la trace de ce qui a eu lieu. La lettre est le mémorial de l’impossible à dire ce qui a lieu dans la rencontre avec la jouissance. Elle note le trou, la rature, elle désigne la trace d’une absence de signification. Elle note aussi le savoir qui s’en dépose, une fois recueillis et sériés les achoppements de la parole dans une psychanalyse. Nous renvoyons à ce propos à cette très éclairante Conférence d’Éric Laurent et à sa discussion que nous publions en fin de ce numéro [3].
En début de publication, nous reprenons l’ensemble des interventions, et leur discussion, à la dernière Question d’École sur lefake [4]. Laurent Dupont annonçait dans son argument préparatoire qu’il y serait question du statut de la vérité et de ses paradoxes à l’heure du fake [5].
« Je dis toujours la vérité : pas toute, disait Lacan, parce que toute la dire, on n’y arrive pas. La dire toute, c’est impossible matériellement : les mots y manquent. C’est même par cet impossible que la vérité tient au réel. [6] »
La vérité tient au réel, parce qu’elle achoppe à le dire. À faire sens, elle ne peut que mentir sur l’impossible à dire. Il reste que l’indicible, le hors-sens de la jouissance, insiste et se manifeste entre les lignes, il rompt la communication. C’est ce dont on fait l’épreuve dans une analyse.
À l’opposé, le fake prétend dire toute la vérité, le vrai sur le vrai, sans reste. Il réduit la vérité à son énoncé tautologique, précisait Laurent Dupont [7]. Il procède de la sorte, disait Anaëlle Lebovits-Quenehen [8], d’une forclusion du réel. Voilà quelques perles prélevées de cette formidable Question d’École. Vous en découvrirez bien d’autres à la lecture.
Sous ce titre, Lorsque le rêve ne prête plus à l’interprétation, nous reprenons une Soirée de la passe consacrée aux rêves de fin d’analyse. Et là, on ne peut que le constater : on ne cherche plus à donner sens aux rêves. On constate que les rêves constatent, et on s’en satisfait. Reste ensuite, pour en témoigner, à hystoriser ce qui s’est passé, non sans ce petit recul pris par rapport aux moires de la vérité.
Enfin, deux textes de ce numéro font retour sur la traversée du fantasme et le désir de l’analyste. Ils procèdent à une étude minutieuse des textes de Lacan à ce propos, tout en prenant la perspective de de son dernier enseignement.
Points forts
- Question d’École 2021, Le fake: les interventions et leurs discussions
- Soirée de la passe décembre 2020, Lorsque le rêve ne prête plus à l’interprétation
- La traversée du fantasme et le désir de l’analyste
- Une conférence d’Éric Laurent : Écriture ◊ jouissance
- SOMMAIRE
Éditorial
Monique Kusnierek
Le fake – Question d’École 2021
Laurent Dupont : Introduction
Anaëlle Lebovits-Quenehen : D’un discours qui contre le fake
Échanges avec Éric Zuliani
Victoria Horne Reinoso :« Faire vrai »
Échanges avec Guy Briole
Francesca Biagi-Chai : Parler à l’heure du fake
Échanges avec Angèle Terrier
Guy Poblome : Décolle-ment ?
Échanges avec Lilia Mahjoub
Yves Vanderveken : Duplicité, leurre, tromperie – de qui se moque-t-on ?
Échanges avec Pascale Fari
Hervé Damase : Un vaccin contre les illusions ?
Échanges avec Laurent Dumoulin
Marie-Hélène Brousse : Fake en trois dimentions
Échanges avec Alexandre Stevens
Gil Caroz : L’éthique de la non-intention
Échanges avec Caroline Leduc
Bernard Lecœur : Une vérité sans fard
Échanges avec Carole Dewambrechies-La Sagna
Myriam Chérel : « Que la vérité se spécifie d’être poétique »
Échanges avec Anna Aromí
Catherine Lazarus-Matet : Un trop grand amour de la vérité
Échanges avec Alice Delarue
Dominique Jammet : Un souffle qui vivifie
Échanges avec Pierre-Gilles Guéguen
Damien Guyonnet : Pour une éthique de la vérité
Échanges avec Omaïra Meseguer
Marie-Claude Sureau : De la recherche de la vérité aux événements de corps indexant le réel en jeu
Échanges avec Angelina Harari
Sophie Gayard : « Matériel-ne-ment »
Échanges avec Jacqueline Dhéret
Éric Laurent : Parler, et dire le faux sur le vrai
Échanges avec Christiane Alberti
Lorsque le rêve ne prête plus à l’interprétation – Soirée de la passe
Véronique Voruz : « Le monde n’est qu’un rêve de chaque corps »
Clotilde Leguil : Défaire les nœuds de mon destin
Myriam Chérel : Des rêves instruments du réveil
Sophie Gayard : Battement et palpitation
Victoria Horne Reinoso : Le nœud des rêves entre fin d’analyse et passe
Discussion générale
Retour sur la traversée du fantasme et le désir de l’analyste
Jean-Marc Josson : La question de la traversée du fantasme
Philippe Stasse : Le désir de l’analyste : « un désir inédit » ?
Écriture ◊ jouissance
Éric Laurent : Conférence à Bruxelles
[1] Lacan J., Le Séminaire, livre xxiii, Le sinthome, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 2005, p. 133.
[2] Cf. Laurent É., « Écriture ◊ Jouissance », Quarto, n° 128, p. 102 ; Miller J.-A., « “De l’inconscient au réel” : une interprétation », Quarto, n° 91, p. 64.
[5] Disponible sur le site de l’ecf.
[6] Lacan J., « Télévision », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 509.