Éditorial:
Prendre le temps des commencements
La psychanalyse n’en est pas à ses commencements, elle n’a rien, comme le disait Lacan en 1967, d’un « nourrisson [1] ». Freud avait d’ailleurs pris la peine d’en rédiger solennellement (et rétrospectivement) l’acte de naissance, ouvrant son « Petit abrégé de psychanalyse » par cette déclaration : « La psychanalyse est pour ainsi dire née avec le xxème siècle ; la publication par laquelle elle se présente au monde comme quelque chose de nouveau, mon Interprétation du rêve, porte la date de 1900 [2] ».
En faisant coïncider la publication de la Traumdeutung avec le passage d’un siècle ancien à un autre, tout neuf, Freud nous l’indiquait donc d’emblée : la psychanalyse s’inaugure d’un acte. Ainsi, le candidat à l’analyse s’aperçoit-il que le fait de s’adresser à un analyste ne signifie pas pour autant que le travail a commencé. Il lui faut pour cela adopter l’énonciation analytique, consentir au fait que « ce que je dis, même si je ne le prends pas à mon compte, soit malgré tout versé à mon compte, disons au compte de mon inconscient [3] ».
L’acte est donc bien présent à l’entrée : celui du patient qui franchit le seuil de l’analyse, celui de l’analyste qui, comme le dira Lacan dans ses « Conférences et entretiens dans des universités nord-américaines », le fait « entrer par la porte », s’assurant qu’il y a bien pour lui « une véritable demande » [4], laquelle est toujours singulière. Aussi, malgré un siècle de pratique de la psychanalyse, nul protocole n’est venu baliser « Le début du traitement [5] ». Car si « une analyse ne ressemble à aucune autre » et ce, « dès son commencement » [6], c’est donc bien au pluriel qu’il faut envisager celui-ci.
Un pluriel, soulignons-le, qui relève d’une éthique dès lors qu’il s’agit, à chaque fois, d’accueillir la singularité du symptôme. Prendre le temps des commencements, c’est déjà suivre l’exemple de Freud qui remettait constamment sa Traumdeutung sur le métier, lui consacrant pas moins de huit éditions de son vivant. Mais c’est aussi – et avant tout – veiller au maintien du discours analytique, un siècle après sa découverte.
France Jaigu est psychanalyste, membre de l’École de la Cause freudienne.
[1] Lacan J., Le Séminaire, livre xv, L’Acte psychanalytique, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 2024, p. 17.
[2] Freud S., « Petit abrégé de psychanalyse », Résultats, idées, problèmes, t. ii, 1921-1938, Paris, PUF, 1985, p. 97.
[3] Miller J.-A., « Au commencement était le transfert », Ornicar ?, no 58, mai 2024, p. 192.
[4] Lacan J., « Conférences et entretiens dans des universités nord-américaines », Scilicet, no 6 / 7, Paris, Seuil, 1976, p. 32.
[5] Cf. Freud S., « Le début du traitement », La Technique psychanalytique, Paris, PUF, 1997, p. 80-104.
[6] Miller J.-A., « Au commencement était le transfert », op. cit., p. 188.
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Sommaire :
Éditorial
7 Prendre le temps des commencements, France Jaigu
9 L’orientation lacanienne
11 Les aventures de la cause, Jacques-Alain Miller
27 Commencements en analyse
28 « Ma chère, c’est une mise à l’épreuve », Esthela Solano-Suarez
37 Relire aujourd’hui « Le début du traitement » de Sigmund Freud, Laurent Dupont
47 Les entretiens préliminaires revisités, Yves Vanderveken
53 Première épreuve, Sophie Gayard
58 Préliminaires à toute entrée possible en analyse, Damien Guyonnet
65 Commencement et logique de savoir, Hélène Bonnaud
72 Le réel d’une histoire, Alice Delarue
78 « J’ai décidé de vous faire une place en analyse » : de la recherche d’une cause à se faire à l’être qu’on est, Myriam Chérel
87 Rêves de transfert, Isadora Escossia
93 La demande de l’enfant, Angèle Terrier
99 Clinique
101 Écouter pas… tout, Sylvie Berkane Goumet
105 Entretiens préliminaires, Isabelle Magne
109 « Avoir du temps pour vivre », Ariane Chottin
114 Partir perdante, Nathalie Jaudel
119 « Livre ! » l’impératif du verbe, Clotilde Leguil
123 Consentir à l’analyse, Ricardo Schabelman
127 États de la psychanalyse
128 Recommencements à Berlin, Natalie Wülfing
137 L’entretien
138 « Ça va pas le faire ! », Marie-Hélène Brousse
155 Sur la passe
156 Précarité et certitude de la fin, Véronique Pannetier
167 Dé-mon-tré, Omaïra Meseguer
175 Bibliothèque
183 Thinking With Your Eyes
184 Au commencement était L’Origine ?, Gérard Wajcman