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Couleur d’audace

Gaston Chaissac “se vantait de savoir tirer quelque chose des « débritus », il se disait « poëte », voué à l’écriture”. Catherine Lazarus-Matet nous emmène à sa rencontre avec le livre de Monique Amirault, Bricoleur de réel.

 


Bricoleur de réel. Gaston Chaissac, épistolier, par Monique Amirault, Navarin / Le Champ freudien éd., mai 2017

 

Monique Amirault a rencontré l’œuvre plastique et les écrits d’un « type irrécupérable », Gaston Chaissac, artiste éclatant et inclassable qui va accompagner l’auteur, dans sa lecture de Lacan et de Jacques-Alain Miller, vers l’inconscient réel. Aux psychanalystes est ainsi apporté un éclairage étincelant sur le sinthome, via ce « bricoleur de réel ». Monique Amirault invite aussi sur cette voie « tous ceux qui refusent d’être privés, au nom de leur bien ou du bien public, de cette liberté la plus intime, celle de l’inconscient et du symptôme – pour tirer au clair le premier, pour savoir y faire avec le second –, et qui accepteront de pénétrer à sa suite dans son pays de “l’indépendance” ». Car Chaissac travaille en indépendant et fabrique lalangue, la langue de jouissance contre celle d’un usage normé.

Ce magnifique livre est précieux. À plus d’un titre. Des allers-retours vifs, des éclairages réciproques s’y nouent entre « l’homme qui obéit aux épluchures » et le dernier enseignement de Lacan. Et l’auteur nous tient en haleine, narrant comment un corps souffreteux, maladif, un homme inadapté, à charge, a tissé sa tenue multiforme, a bricolé les mots et les objets, pour se protéger de l’Autre et faire avec les autres dont il a grand besoin, et parvenir à se faire un nom (le sien, toujours, mais multiple dans ses arrangements innombrables). L’univers des objets insolites créés par Chaissac, et qui peuplent sa maison, nous est aussi décrit de telle façon que nous parvenons à les voir. Là, derrière un volet, ou encore là, dans l’embrasure d’une porte. […]

Monique Amirault l’écrit : le champ de travail est vaste. Chaissac trouve son unité dans le tout, se « sent tout », comme il le fait savoir à Queneau. Il n’est pas ceci ou cela, il se sent : poète, paysan, traceur de piste, soldat… Les titres des chapitres du livre sont à eux seuls un voyage au pays du réel, au fil de la vie douloureuse d’un corps parlant « débraillé » qui tint tant à et par l’écriture. On pourrait les lier, au moins quelques-uns, en une phrase qui cernerait ce destin si singulier : l’épistolier notoire, par la grâce de l’ironie, le mystère de la création d’un inclassable a bien des choses à vous dire : la naissance d’un artiste, l’histoire d’une vocation inobéissable, sa passion de lalangue, son patois dans tous ses états…

Formé à la cordonnerie, mais inapte à la pratiquer, cordonnier sans travail d’une paroisse boquine, c’est dans la lettre que Chaissac a trouvé chaussure à son pied, dans « une lutte incessante », écrit Monique Amirault, « pour traduire la jouissance » et « la circonscrire dans l’objet grâce au recours d’un bricolage hors du commun ». Comme Joyce, il s’est fait un nom par un usage hors sens de la lettre.

Catherine Lazarus-Matet

Extrait de l’article « Couleur d’audace. À la rencontre de Gaston Chaissac avec Monique Amirault », publié dans Lacan Quotidien, n° 697, lundi 15 mai 2017.

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